Réforme : extension de la période de compensation des pertes
L'extension prévue de la période de compensation des pertes de sept à dix ans doit alléger la charge fiscale des entreprises et favoriser leur redressement économique. Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? L'article met en lumière le contexte, les défis et les potentiels pour la compétitivité de la Suisse.
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L'admissibilité d'une déduction de pertes sur plusieurs périodes se justifie en premier lieu sur la base du principe du bénéfice total (bénéfices d'une entreprise sur toute sa durée de vie), qui trouve lui-même sa justification dans le principe constitutionnel de l'imposition selon la capacité économique. En raison des exigences du principe de la périodicité, qui, au niveau de l'impôt fédéral direct, est inscrit dans la loi à l'art. 80, al. 1, LIFD et à l'art. 79, al. 1 et 2, en relation avec l'art. 58, al. 2, LIFD, le principe de la périodicité doit être respecté. L'art. 58, al. 1, let. a) LIFD prévoit toutefois que la déduction de pertes ne peut avoir lieu que dans un délai limité, qui est actuellement de sept ans.
Le 27 novembre 2024, le Conseil fédéral a adopté le message relatif à l'extension de la compensation des pertes de sept à dix ans. Le présent article de blog thématise le contexte de la réforme prévue pour l'étalement des pertes fiscales, donne un aperçu de ses principaux points de repère et l'examine de manière critique sous l'angle de sa conception concrète, notamment de son lien avec la pandémie Covid 19.
Chronologie
La motion du 12.01.2021 demandait l'extension de la période de compensation des pertes de sept à dix ans, notamment afin de contribuer à la poursuite du rétablissement des entreprises touchées par la pandémie (motion 21.3001). Dans ce contexte, il était prévu que l'extension de la période de compensation des pertes s'applique aux pertes subies à partir de l'année fiscale 2020.
Lors de la consultation, la plupart des partis et organisations ont accueilli positivement l'allongement de la période de compensation. Une majorité des cantons rejette toutefois les modifications législatives proposées, car ils considèrent que l'allongement de la période de compensation des pertes n'est pas très efficace et que les mesures fiscales existantes sont suffisantes. Ils craignent en outre que cette mesure n'entraîne un surcroît de travail administratif, des problèmes de planification financière pour les collectivités publiques et des pertes fiscales peu claires.
Lors de sa séance du 27 novembre 2024, le Conseil fédéral a adopté le message relatif à la mise en œuvre de la motion. Le Conseil fédéral reconnaît en principe l'objectif de la motion, mais ne considère pas la mesure comme prioritaire et renonce à soumettre une proposition d'approbation au Parlement en raison de la situation financière tendue du budget de la Confédération et de l'utilité comparativement limitée de la mesure. Le projet doit maintenant être évalué par le Conseil national, qui est le premier conseil à se pencher sur la question.
Droit en vigueur et nécessité d'une nouvelle réglementation
Selon le "principe du bénéfice total", la somme de tous les résultats d'une entreprise pour une période donnée représente son bénéfice total, c'est-à-dire le bénéfice généré pendant toute la durée de vie de l'entreprise et qui reflète ainsi sa pleine capacité économique. Même si, selon cette conception, une compensation des pertes illimitée dans le temps serait appropriée, ce principe est limité par l'exigence, en droit comptable, d'une comptabilisation des produits et des charges sur la base d'une période donnée. Comme il faut tenir compte de manière appropriée de l'exigence de l'imposition périodique ainsi que du principe du bénéfice total, le législateur a prévu jusqu'à présent, dans le cadre de cette tension, une compensation des pertes limitée dans le temps sur sept exercices précédant la période fiscale.
C'est surtout à la suite de la pandémie que le Parlement suisse reconnaît toutefois la nécessité d'agir pour adapter ou étendre le report ordinaire des pertes de sept à dix ans. La réglementation actuelle risque d'entraîner une inégalité de traitement entre les entreprises malgré une capacité économique égale. Les personnes morales ou les personnes physiques indépendantes peuvent être concernées si, par exemple, elles réalisent une fois une perte importante et plusieurs fois de faibles bénéfices au cours des années suivantes. De même, les entreprises qui, sur plusieurs périodes fiscales, réalisent des pertes moins importantes et, par la suite, des bénéfices modestes, peuvent être désavantagées. Dans certaines circonstances, cela peut se traduire pour les entreprises concernées par une disparition des pertes annuelles compensables et donc par une surimposition. La nécessité d'un allègement fiscal accru pour les entreprises en situation de perte est notamment mise en évidence par les pertes considérables enregistrées pendant la pandémie.
Limitation dans le temps de la déduction de pertes
En étendant la compensation des pertes, la nouvelle réglementation proposée vise notamment à permettre une meilleure prise en compte de la capacité économique des entreprises. La compensation des pertes doit être étendue dans ce sens, tout en restant limitée dans le temps pour diverses raisons. Outre les intérêts budgétaires des pouvoirs publics, notamment en ce qui concerne une plus grande sécurité de planification, le Conseil fédéral fait valoir qu'une telle décision semble également judicieuse pour des raisons de praticabilité pour les entreprises. Sans une limitation dans le temps de la compensation des pertes, les entreprises devraient conserver leurs documents commerciaux depuis leur première existence jusqu'à leur liquidation, ce qui entraînerait un surcroît de travail administratif considérable. L'extension prévue de l'imputation des pertes à 10 ans s'oriente donc également sur les délais de conservation des documents commerciaux selon le CO.
Impact financier de la réforme
Long terme, l'allongement de la période de report des pertes a pour effet d'exposer les acteurs économiques qui subissent des pertes importantes en une seule fois ou des pertes moins importantes sur plusieurs exercices à une charge fiscale globale plus faible. Grâce à l'allégement fiscal, les entreprises concernées disposent de plus de moyens financiers pour leurs activités commerciales. Les entreprises nouvellement créées qui connaissent une longue phase de développement, au cours de laquelle elles réalisent des investissements importants dans la croissance et le développement de produits, sont particulièrement avantagées lorsque les pertes subies pendant cette phase peuvent être compensées par des bénéfices ultérieurs.
Parallèlement, il faut tenir compte du fait qu'un allongement de la période de compensation des pertes est très probablement lié à une diminution des recettes récurrentes chaque année au niveau fédéral et cantonal, dont le montant ne peut toutefois pas être évalué avec précision. Il devrait y avoir des recettes moindres lorsque des sociétés qui ont réalisé des pertes sur plus de sept ans réalisent à nouveau des bénéfices après un assainissement réussi, qu'elles peuvent compenser par des pertes de plus de sept ans non encore utilisées sur le plan fiscal. Par ailleurs, des diminutions de recettes sont possibles lorsque des entreprises en phase de démarrage n'enregistrent des bénéfices qu'après une longue phase de pertes de plus de sept ans, bénéfices qui peuvent être compensés par des pertes sur une période plus longue suite à l'extension de la compensation des pertes.
Évaluation du projet
Bien que la proposition d'étendre la compensation des pertes à dix ans semble équilibrée, compte tenu de la nécessité de trouver un équilibre entre le principe du bénéfice total et celui de la périodicité, on ne comprend pas, du point de vue de la technique fiscale, pourquoi la réforme doit être liée à la pandémie Covid 19. Malgré le fait que le nouveau régime puisse aider les entreprises, entre autres, à reconstruire leur activité après la pandémie, il n'y a aucune raison de limiter la rétroactivité aux pertes subies à partir de 2020. Afin de garantir que la mesure ait des effets pratiques immédiats, il serait souhaitable, du point de vue de la systématique fiscale, d'étendre la période de compensation des pertes en général à dix ans à compter de l'entrée en vigueur du projet et d'autoriser l'application des nouvelles règles de compensation des pertes également aux pertes antérieures à la période fiscale 2020. Diverses associations participantes se sont également exprimées dans ce sens lors de la procédure de consultation.
Enfin, la question se pose de savoir si le projet de réforme lancé ne devrait pas également être utilisé pour mener une discussion plus fondamentale sur la thématique de la compensation des pertes. On pourrait par exemple penser à l'introduction d'une possibilité de report des pertes, comme le prévoit aujourd'hui déjà le canton de Thurgovie pour les impôts cantonaux et communaux. Cela permettrait aux entreprises de compenser les pertes réalisées dans le présent avec les bénéfices des années fiscales précédentes, ce qui, à long terme, permettrait également d'éviter des surimpositions et garantirait une application plus large du principe du bénéfice total. Cette thématique devrait notamment être examinée sous l'angle du maintien de l'attractivité (fiscale) de la Suisse au niveau international. En ce qui concerne la compensation des pertes, la Suisse ne fait pas partie des pays les plus attractifs en raison de ses restrictions relativement importantes. Les concurrents directs de la Suisse, dont divers États de l'UE, présentent parfois des périodes de compensation des pertes nettement plus longues (p. ex. 17 ans au Luxembourg), voire illimitées (p. ex. en Allemagne, en Italie et en Autriche). Peu de pays connaissent en outre un report de pertes, dont l'Allemagne et la France, pays voisins de la Suisse. Afin de maintenir l'attractivité fiscale de la Suisse, voire de l'augmenter, notamment par rapport à d'autres États, il faudrait envisager l'introduction de nouveaux assouplissements pour la compensation des pertes.