Gestion des biens immobiliers du point de vue fiscal

En Suisse, de nombreux particuliers détiennent directement dans leur patrimoine privé non seulement le bien immobilier dans lequel ils vivent, mais aussi d'autres biens immobiliers qu'ils ont par exemple hérités ou achetés au cours de leur vie.

Si de tels biens immobiliers servent avant tout à la prévoyance vieillesse et doivent, entre autres pour des raisons émotionnelles, être transmis ultérieurement à la génération suivante, la question se pose régulièrement de savoir s'il serait préférable, d'un point de vue fiscal, de "gérer" ces biens immobiliers par le biais d'une "société de gestion" sous la forme d'une société anonyme ou d'une société à responsabilité limitée, ou si la gestion du bien immobilier doit continuer à se faire à titre privé.

Cet article de blog montre, à l'aide d'un cas fictif du canton de Lucerne, les possibilités fiscales et notamment les pièges à éviter lors de ces réflexions.

Étude de cas

Faits et chiffres

A. est âgé de 45 ans, divorcé et père de deux enfants. A. habite dans la ville de Sursee, dans le canton de Lucerne. Récemment, A. a hérité de son père deux immeubles collectifs (en abrégé : MFH) à Sursee. La valeur patrimoniale des immeubles s'élève à 10 millions de CHF, les frais d'investissement à 6 millions de CHF et les immeubles sont grevés d'hypothèques de 4 millions de CHF, rémunérées à un taux d'intérêt fixe de 1,5%. Les immeubles génèrent des revenus locatifs annuels de CHF 350'000, les frais d'entretien des immeubles (y compris la gestion externe) s'élèvent à CHF 75'000.

A. travaille à temps partiel dans le secteur informatique, son salaire annuel net s'élève à CHF 100'000. En outre, il perçoit chaque année des revenus de titres pour un montant d'environ CHF 20'000. Les déductions fiscales sur le revenu s'élèvent en moyenne à CHF 15'000.

A. considère l'immeuble comme une partie de sa prévoyance vieillesse. Il souhaite la léguer à ses deux enfants.

Questionnement

Sur la base de cet état de fait, la question se pose de savoir s'il peut être intéressant pour A. de transférer les immeubles collectifs, et donc aussi sa gestion, dans une société de capitaux (c'est-à-dire dans la sphère entrepreneuriale) ?

Stratégie de transfert

Lors du transfert de biens immobiliers dans une société de capitaux, il est important de tenir compte des différences cantonales, qui peuvent être considérables en Suisse, notamment en ce qui concerne l'impôt sur les gains immobiliers.

Dans le canton de Lucerne, un immeuble faisant partie de la fortune privée au sens du § 17 al. 3 de la loi sur l'impôt sur les gains immobiliers du canton de Lucerne peut être vendu à une personne morale soumise à l'impôt sur le bénéfice à une valeur inférieure à sa valeur vénale. Concrètement, cela signifie que le prix d'achat peut être déterminé librement par les parties contractantes, pour autant qu'il se situe entre les coûts d'investissement et la valeur vénale des biens immobiliers. La valeur à laquelle les biens immobiliers sont inscrits au bilan de la personne morale au moment de l'acquisition sert de base à la taxation de l'impôt sur les gains immobiliers.

Si un bien immobilier est vendu à une personne morale à un prix inférieur à sa valeur vénale, les autorités fiscales prélèvent une réserve dite de rappel d'impôt dans le cadre de la taxation de l'impôt sur les gains immobiliers. En cas de réalisation ultérieure du gain immobilier (notamment par la revente du bien immobilier par la société de capitaux) dans un délai de cinq ans, les autorités fiscales se réservent ainsi le droit d'imposer ultérieurement la différence entre les coûts d'investissement et la valeur vénale au moment de la vente à la personne morale, différence qui n'a pas encore été taxée au titre de l'impôt sur les gains immobiliers. Cette réserve provient notamment du fait que, dans le canton de Lucerne, l'impôt sur les gains immobiliers n'est prélevé que sur les ventes de la fortune privée dans le cadre du système dit "dualiste", alors que les ventes effectuées par des personnes morales ne sont toujours soumises qu'à l'impôt sur le bénéfice.

Si un transfert d'un bien immobilier à une société détenue en propre est prévu au coût d'investissement, il est recommandé de demander à l'autorité fiscale compétente un ruling fiscal concernant le montant des coûts d'investissement et la valeur vénale des biens immobiliers.

Dans le cas présent, A. n'a aucun intérêt à payer l'impôt sur les gains immobiliers immédiatement au moment du transfert sur la différence entre les coûts d'investissement et la valeur vénale. Avec un bénéfice présumé de 4 millions de CHF, la charge fiscale serait également considérable et ne pourrait vraisemblablement être payée qu'avec une augmentation des hypothèques. Dans cette mesure, A. profitera de l'avantage fiscal dans le canton de Lucerne et transférera les immeubles locatifs dont il a hérité dans la société de capitaux à créer, au coût d'investissement de CHF 6 millions. Dans cette mesure, la seule question qui intéresse A., même dans la variante avec transfert de l'immeuble locatif dans une société de capitaux, est de savoir à combien s'élèvera la charge fiscale courante par an et si cette charge fiscale peut être optimisée.

Lors de la planification du transfert, il ne faut toutefois pas seulement tenir compte de l'optimisation de l'impôt sur les gains immobiliers. Le transfert des biens immobiliers entraîne des frais de transfert supplémentaires qui peuvent peser lourd dans la balance en fonction de la valeur des biens immobiliers. Parmi ces frais de transfert figurent les droits de mutation (dans notre cas, le canton de Lucerne prélève un droit de mutation unique de 1,5 % sur la valeur cadastrale des biens immobiliers) ainsi que les frais de notaire et de registre foncier, car le transfert doit être effectué au moyen d'un "contrat de vente" avec modification de la propriété au registre foncier.

Détermination des impôts courants

Le transfert des biens immobiliers dans une société de capitaux au prix d'investissement de CHF 6 millions n'a pas de conséquences fiscales pour A. en matière d'impôt sur les gains immobiliers. En outre, la société de capitaux reprenante peut constituer, à hauteur de la différence entre les hypothèques et les frais d'investissement de CHF 2 millions, des réserves dites d'apport de capital qui peuvent être restituées à A. par la société de capitaux en franchise d'impôt sur le revenu et de compensation. Les réserves d'apport de capital sont soumises aux impôts cantonaux sur le capital au niveau de la société de capitaux.

En transférant les biens immobiliers dans une société de capitaux, A. dispose de diverses possibilités pour planifier sa charge fiscale de manière ciblée et à long terme. A. n'aurait pas ces possibilités s'il ne détenait les immeubles que dans sa fortune privée. Comme l'immeuble est détenu par une société de capitaux, il peut par exemple procéder à des amortissements (de 1,5% à 2,0%, selon l'établissement du bilan), les impôts sur le bénéfice peuvent être déduits et des provisions peuvent être constituées pour les rénovations dites importantes.

En outre, A. peut thésauriser les bénéfices résultant de la gestion des biens immobiliers dans la société de capitaux (c.-à-d. ne pas se les distribuer chaque année sous forme de dividendes), ainsi que faire rapatrier une partie des fonds générés, également en franchise de compensation et d'impôt sur le revenu, à partir de réserves d'apport de capital. A. pourrait ainsi obtenir un report d'impôt supplémentaire.

Compte tenu des hypothèses formulées dans l'état de fait, il en résulte pour A., en cas de distribution annuelle complète du bénéfice provenant de la gestion de l'immeuble, une charge fiscale totale approximative (c'est-à-dire y compris les impôts sur le bénéfice de la société de capitaux) d'environ 61 500 CHF. Il convient de noter que A. peut "gérer" lui-même la charge fiscale, notamment en ne se distribuant pas tous les bénéfices sous forme de dividendes ou en distribuant une partie des dividendes à partir des réserves d'apport de capital.

Dans le cas d'une société de capitaux détenue à titre personnel, la question se pose toujours de savoir si une partie du bénéfice peut être qualifiée de salaire ou si A. devrait se verser une partie des bénéfices en tant que salaire, étant donné qu'en tant que propriétaire de la société de capitaux, il sera probablement aussi gérant. Le salaire serait certes entièrement déductible au niveau de la société de capitaux, mais A. devrait payer l'intégralité de l'impôt (pas d'imposition partielle comme pour les dividendes) et devrait en outre verser des cotisations AVS sur ce salaire. Il est donc recommandé, dans un cas comme celui-ci, de discuter de manière proactive de cette thématique avec les autorités compétentes en matière d'assurances sociales afin d'éviter toute surprise désagréable à l'avenir.

Comparaison : gestion des biens immobiliers du patrimoine privé

Dans la variante où A. continue à détenir l'immeuble de rapport dans son patrimoine privé, la situation fiscale est sensiblement différente. Les revenus provenant de l'exploitation ou de la gestion des biens immobiliers sont toujours imposés sur le revenu de A. la même année que celle où ces revenus sont réalisés. L'imposition ne peut donc pas être reportée. En revanche, les impôts ne sont prélevés qu'à un seul niveau, il n'y a donc pas d'impôt sur les bénéfices. Un avantage supplémentaire qui résulte de l'exploitation dans la fortune privée est la possibilité de choisir chaque année entre la déduction forfaitaire générale pour l'entretien des biens immobiliers et les frais effectivement encourus, en fonction du montant le plus élevé. Une société de capitaux n'a pas cette possibilité.

En tenant compte des hypothèses selon les faits (c.-à-d. en particulier des autres revenus de A., qui sont déterminants pour la détermination du taux d'imposition sur le revenu applicable), il résulte pour A. une charge fiscale totale d'environ 67'000 CHF provenant des revenus immobiliers de la gestion de l'immeuble locatif.

Conclusion

Si l'on compare les deux variantes, on constate qu'elles sont fiscalement comparables en ce qui concerne la gestion des biens immobiliers. Il n'est pas évident de savoir quelle variante est la plus optimale du point de vue fiscal, en particulier si l'on tient compte du risque de revenus relevant du droit des assurances sociales dans le cas de la variante avec transfert dans une société de capitaux.

La variante consistant à transférer l'immeuble dans une société de capitaux présente toutefois l'avantage évident de permettre une planification à long terme et donc une optimisation de la charge fiscale. De plus, le transfert dans une société de capitaux peut faciliter la transmission des biens immobiliers à la génération suivante.

Il convient de noter que la présente évaluation est adaptée à la situation dans le canton de Lucerne (y compris les taux d'imposition en vigueur) et que le transfert des biens immobiliers dans une société de capitaux entraîne également des frais de notaire et de registre foncier ainsi que des frais de mutation qui ne seraient pas dus en cas de gestion privée. La conclusion peut donc varier d'un canton à l'autre, voire d'une commune à l'autre, en particulier si les biens immobiliers ne sont pas situés dans le même canton ou la même commune que le contribuable propriétaire des biens.