Les 15 points d'action du site BEPS expliqués

Le 22 août 2018, le Conseil fédéral a adopté le message relatif à l'accord BEPS. Mais en quoi consiste exactement le projet BEPS? Cet article explique les 15 points d'action du site BEPS.

Le projet "Base Erosion and Profit Shifting" est un projet contre la réduction du substrat fiscal et le déplacement des bénéfices. L'objectif est notamment de freiner la planification fiscale légale mais agressive des multinationales et de rendre la coopération internationale plus efficace. Nous avons compilé ci-dessous un bref aperçu des 15 points d'action :

Point d'action 1 - Relever les défis fiscaux de l'économie numérique

Le point d'action 1 traite de la manière dont l'économie numérique peut exacerber les risques BEPS et cherche à identifier les moyens de résoudre ces difficultés fiscales causées par la numérisation de l'économie. Les pays de l'OCDE et du G20 sont convenus dans le rapport final de 2015 de suivre d'abord l'évolution de la situation et d'analyser les données qui seront disponibles au fil du temps. D'ici 2020, ils souhaitent avoir dressé un inventaire sur ce sujet. En mars 2018, un rapport intermédiaire a été remis par l'OCDE, et en janvier 2019, un guide sur les défis fiscaux de l'économie numérique.

Lire le numéro 9 de Tax Talk de l'OCDE sur le rapport intérimaire

Lire le Tax Talk de l'OCDE n°11 sur le guide

Point d'action 2 - sur les conceptions hybrides

Les organisations hybrides sont utilisées dans la pratique par les entreprises multinationales afin de réduire la charge fiscale globale en exploitant les conflits de qualification entre les différentes législations fiscales nationales. L'élément hybride est soit un paiement, si le paiement est qualifié différemment dans différents États (instrument financier hybride), soit une entité, si les États concernés qualifient cette entité différemment (forme juridique hybride). Le point d'action 2 vise à éviter ces incongruités fiscales et propose à cet effet des propositions de réglementation et des solutions détaillées qui doivent être mises en œuvre dans les droits nationaux et les CDI. En juillet 2017, un autre rapport a été publié dans le cadre du point d'action 2, qui traite des incongruités sectorielles.

Point d'action 3 - sur les règles du CFC

De nombreux pays avaient déjà introduit des règles sur les CFC dans leur législation nationale avant le début du projet BEPS. Le point d'action 3 ne veut pas introduire des règles de CFC comme norme minimale, mais donne aux États des "recommandations de meilleures pratiques" concernant la conception des règles de CFC, qu'ils peuvent, mais ne doivent pas, introduire. L'objectif est de renforcer les règles relatives aux CFC au niveau international. Les États introduisent une taxe d'attribution principalement pour empêcher les entreprises de transférer leurs revenus vers des filiales situées dans des pays à faible fiscalité.

Ou laissez-nous vous expliquer les règles du CFC à l'aide de nos présentations PP.

Point d'action 4 - concernant les intérêts et autres rémunérations

Les entreprises peuvent déduire fiscalement les intérêts payés sur un crédit. C'est pourquoi de nombreuses entreprises essaient de déduire des montants excessifs d'intérêts par le biais d'un financement intragroupe ou d'un financement externe excessif, afin d'optimiser leurs impôts. Dans le point d'action 4, une approche commune a été développée sur la manière de limiter la déductibilité fiscale des paiements d'intérêts de manière coordonnée, par exemple en fonction du montant des revenus de l'entreprise ou du montant des immobilisations disponibles. L'OCDE reconnaît toutefois que les circonstances particulières des banques et des assurances doivent être prises en compte et a donc élaboré, entre autres, de nouvelles recommandations à ce sujet dans un rapport actualisé en décembre 2016.

Point d'action 5 - Contre les pratiques fiscales dommageables et pour plus de transparence et de substance (norme minimale)

Il y a quelques années, il était encore courant que les États tentent d'"attirer" les grandes multinationales à l'aide de régimes fiscaux spéciaux et de rulings pour les inciter à s'établir dans leur pays. C'est également le cas de la Suisse, par exemple avec ses régimes spéciaux pour les sociétés holding, de domicile et de principe, qui doivent maintenant être supprimés dans le cadre du Projet fiscal 17 / RFFA. L'OCDE considère ces pratiques fiscales et la concurrence fiscale effrénée comme nuisibles, car elles offrent aux contribuables des possibilités d'aménagement indésirables et réduisent en fin de compte les recettes fiscales dans tous les États. Le point d'action 5 introduit donc une norme internationale minimale qui repose essentiellement sur deux points : Premièrement, l'application de l'approche dite "nexus" pour certains régimes préférentiels ("preferential regimes"), comme par exemple les patent boxes. Celle-ci suppose une activité commerciale substantielle de l'entreprise et des activités génératrices de revenus déterminantes, nécessaires à la réalisation des revenus couverts par le régime fiscal spécial, pour pouvoir bénéficier du régime préférentiel. Deuxièmement, l'introduction d'un échange d'informations spontané obligatoire sur les décisions fiscales préférentielles (appelées rulings). Les Etats s'engagent ainsi à s'informer mutuellement à l'avenir, et sans demande préalable, des engagements fiscaux qu'ils donnent aux contribuables en amont des transactions transfrontalières. En mai 2018, la Suisse a transmis pour la première fois aux États partenaires des informations sur les décisions fiscales anticipées. En outre, dans le cadre du point d'action 5, un processus de révision a été lancé pour examiner les différents régimes fiscaux des États et publier d'autres nouveaux rapports.

Point d'action 6 - prévenir les abus d'accords (norme minimale)

Étant donné qu'en cas d'activités économiques transfrontalières, il existe toujours un risque que plusieurs États imposent les mêmes revenus, les États concluent entre eux des conventions bilatérales dites de double imposition (CDI) afin de répartir les droits d'imposition entre eux. Les contribuables tentent toutefois régulièrement d'exploiter les différentes dispositions des CDI et leur interaction avec les dispositions nationales respectives de manière à ne pas payer d'impôts ou à en payer moins dans les États concernés. C'est pourquoi le point d'action 6 fixe une norme minimale pour empêcher de tels abus de convention, en particulier pour empêcher ce que l'on appelle le "treaty shopping". Les nouvelles règles doivent être intégrées dans le modèle de convention de l'OCDE, qui constitue la base de nombreuses CDI, et être en même temps insérées automatiquement dans les CDI déjà existantes par tous les États intéressés grâce à ce que l'on appelle l'"instrument multilatéral" (point d'action 15). Un processus d'examen a également été lancé pour le point d'action 6 et un rapport sur ses résultats sera publié en février 2019.

Point d'action 7 - contre l'évitement des établissements permanents

En règle générale, les CDI prévoient que les bénéfices d'une société étrangère ne sont imposables dans un Etat que si l'engagement économique de la société étrangère s'est concentré dans cet Etat au point qu'il existe un établissement stable auquel les bénéfices peuvent être attribués. La définition d'un établissement stable est donc d'une importance cruciale pour la (non-)imposition. Le point d'action 7 vise à modifier et à élargir la définition de l'établissement stable de l'article 5 du modèle de convention fiscale de l'OCDE afin de lutter contre les montages fiscaux qui tentent de contourner l'existence d'un établissement stable et donc le critère de rattachement fiscal. De nouvelles orientations sur cette question ont été publiées en mars 2018.

Points d'action 8 à 10 - sur les biens incorporels, le capital et les risques et autres aspects liés aux prix de transfert

Les entreprises multinationales sont économiquement actives dans différents pays par le biais de sociétés juridiquement indépendantes. Ces entreprises d'un groupe multinational échangent des biens et des services entre elles par-delà les frontières. Un prix de transfert doit être déterminé pour chacun des biens et services échangés afin qu'ils puissent être taxés de manière appropriée. La particularité des prix de transfert est qu'ils ne sont pas formés sur un marché par l'offre et la demande. La norme internationalement reconnue pour déterminer les prix de transfert appropriés est le principe de pleine concurrence, selon lequel les groupes doivent structurer leurs prix de transfert comme si la transaction sous-jacente de biens ou de services n'avait pas été convenue entre des sociétés du même groupe, mais entre des tiers indépendants. Il s'agit d'empêcher les multinationales d'abuser des prix de transfert et de déplacer arbitrairement le substrat imposable entre les États en fixant des conditions de pleine concurrence. Les points d'action 8 à 10 traitent précisément de ce problème de prix de transfert. Elles visent à renforcer le principe de pleine concurrence, à traiter en particulier les questions de prix de transfert liées aux biens incorporels, qui sont souvent très difficiles à évaluer, et à clarifier les lignes directrices en matière de prix de transfert concernant la répartition des risques et du capital au sein du groupe. Le rapport final comprend également des orientations sur les opérations liées aux transactions transfrontalières de marchandises et sur les services intragroupes à faible valeur ajoutée. En juillet 2017, l'OCDE a publié des lignes directrices révisées sur les prix de transfert et publie d'autres lignes directrices à intervalles réguliers, par exemple sur l'application de la "méthode du partage des bénéfices transactionnels" ou sur les "biens incorporels difficiles à évaluer".

Point d'action 11 - concernant l'analyse et la collecte de données sur la portée et l'impact économique du projet BEPS

Lepoint d'action 11 formule des recommandations pour une meilleure utilisation des données fiscales disponibles et une amélioration des analyses afin de pouvoir mieux mesurer les pertes fiscales dues à la réduction et au transfert de bénéfices ainsi que les effets des contre-mesures du site BEPS à l'avenir. Le 15 janvier 2019, la première édition des statistiques sur l'impôt sur les sociétés basées sur le point d'action 11 a été publiée.

Lisez également le Tax Talk #11 de l'OCDE

Point d'action 12 - pour la divulgation des modèles de planification fiscale agressive

De plus en plus de pays exigent que les contribuables ou leurs conseillers divulguent aux autorités fiscales les plans de planification fiscale agressive ou abusive. Le point d'action 12 ne vise pas à faire de ces règles de divulgation une norme minimale, mais formule simplement des recommandations sur la manière dont ces règles de divulgation peuvent être conçues efficacement. Les États sont donc libres de décider s'ils veulent introduire des règles de divulgation contraignantes ou non. En mars 2018, l'OCDE a publié des règles de divulgation types dans l'esprit du point d'action 12, qui visent à empêcher le contournement de la norme commune de déclaration (NCD) des États de l'OCDE/G20 dans le cadre de l'AEOI par le biais d'accords d'évitement et de structures offshore.

Point d'action 13 - sur la documentation relative aux prix de transfert et l'échange de rapports pays par pays (norme minimale)

Outre les points d'action 8 à 10, le point d'action 13 constitue le deuxième pilier principal en ce qui concerne le problème des prix de transfert et propose une structure à trois niveaux uniforme au niveau mondial pour la documentation des prix de transfert : Les pays sont libres d'introduire un "fichier maître" à l'échelle du groupe et un "fichier local" spécifique à chaque pays, mais le "reporting pays par pays" (CbCR) est une norme minimale qui doit être mise en œuvre par les pays.

Lisez notre article sur le fichier principal et local

Par le biais du CbCR, les grandes entreprises multinationales doivent fournir chaque année et pour toutes les juridictions fiscales dans lesquelles elles exercent leurs activités des informations sur le montant et la répartition mondiale de leurs revenus, les impôts payés et les activités économiques les plus importantes du groupe. La déclaration pays par pays doit être déposée dans l'État de la société mère ultime et est automatiquement transmise aux autres États concernés par le biais de l'échange intergouvernemental d'informations, pour autant que ces États aient conclu un accord correspondant en vertu du droit international. L'OCDE met constamment à jour la liste des États signataires de l'"Arrangement multilatéral des autorités compétentes pour l'échange de renseignements pays par pays" (abrégé en arrangement ALBA ou en anglais CbC MCAA). En outre, elle a publié un premier recueil de rapports d'audit relatifs au CbCR en mai 2018. Fin juin 2018, la Suisse a envoyé aux autres États les premiers rapports pays par pays sur la période fiscale 2016. La soumission de ces rapports deviendra obligatoire pour la Suisse à partir de la période fiscale 2018.

Point d'action 14 - concernant la prévention et le règlement des litiges (norme minimale)

De nombreux pays conviennent dans leurs CDI qu'une procédure amiable (PA) peut être mise en œuvre afin de parvenir à une interprétation uniforme en cas de désaccord sur l'application de la CDI ou pour éliminer la double imposition dans des cas particuliers. En particulier, les mesures prises dans le cadre du projet BEPS peuvent, dans un premier temps, entraîner une augmentation de la double imposition. C'est pourquoi l'OCDE veut améliorer l'efficacité des instruments de prévention et de règlement des différends avec le point d'action 14, qui a été conçu comme une norme minimale, afin que les conflits de traités puissent être résolus en temps utile ou évités à l'avance. En outre, un grand groupe d'États s'est engagé à intégrer rapidement l'arbitrage contraignant dans leurs CDI bilatérales afin que des tribunaux arbitraux indépendants décident des cas individuels dans lesquels les États concernés ne parviennent pas à s'entendre sur une solution au conflit de double imposition. Un mécanisme de suivi efficace devrait garantir le respect du point d'action 14.

Point d'action 15 - sur le développement d'un instrument multilatéral pour la mise en œuvre du BEPS- Points d'action

Pour que les mesures du site BEPS concernant les CDI deviennent effectives dans la pratique, les accords existants devraient être adaptés en conséquence (en particulier pour mettre en œuvre les normes minimales contenues dans les points d'action 6 et 14). Toutefois, en raison du grand nombre de CDI existantes, ce processus et les négociations bilatérales nécessaires seraient extrêmement longs. C'est pourquoi l'OCDE s'est fixé comme objectif, dans le cadre du point d'action 15, d'élaborer un accord multilatéral ("instrument multilatéral" ) qui complète les CDI existantes par les recommandations du site BEPS- conformément aux décisions de sélection prises par les États signataires. Le nombre d'États ayant signé le traité multilatéral ne cesse d'augmenter et, le 1er juillet 2018, il est entré en vigueur avec la ratification de la Slovénie, cinquième État à l'avoir ratifié.

Le Parlement a adopté l'accord multilatéral lors du vote final du 22 mars 2019, ce qui signifie que la Suisse peut désormais également le ratifier.

Conclusion

Le paquet de mesures BEPS a été adopté par les représentants des gouvernements lors du sommet du G20 en Turquie le 16 novembre 2015. Depuis lors, l'OCDE publie à un rythme élevé de nouveaux rapports et de nouvelles orientations sur la mise en œuvre des 15 points d'action du site BEPS et cherche constamment à échanger avec les gouvernements, les autorités et les contribuables lors de diverses réunions et via les Tax Talks. Il s'agit d'un projet réussi qui montre clairement à quel point l'OCDE est désireuse de mettre en œuvre les points d'action du site BEPS. Sans aucun doute, le projet BEPS a inauguré une nouvelle "ère" dans le monde de la fiscalité. Une ère de transparence et d'échanges internationaux qui rendra l'évasion fiscale et l'agressivité de Tax Planning pratiquement impossible à l'avenir.